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Le monde de la vie face à la barbarie

23 vendredi Jan 2015

Posted by Vivien Hoch in Philosophie

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Hoch, Michel Henry, phénoménologie, Reconquête, vivien

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La philosophie contemporaine est bien justement critiquée pour son caractère opaque et son idéologie de la déconstruction. Mais elle a su aussi, de manière plus discrète, générer en son sein des anticorps conceptuels puissants face au nihilisme, notamment celui qui détruit la vie, en proposant de nouvelles manière de penser et de défendre ce qu’on peut appeler le « monde de la vie », cette manière d’être au monde qui échappe aux logiques marchandes, étatiques, médiatiques, qui s’avèrent être, au fond, mortelles…

Le « monde de la vie » face au positivisme scientifique

La phénoménologie allemande a développé un concept très intéressant pour délimiter la sphère immanente de la vie : la « Lebenswelt », en Français : le « Monde de la vie». Ce concept est inventé par Edmund Husserl, le fondateur de la phénoménologie, dans la Crise des sciences européennes, écrit entre 1934 et 1937, dans un contexte de crise croissante entre la philosophie et le positivisme scientifique, qui s’imposait alors comme la seule source de vérité. On trouve les développements les plus explicite du « Monde de la vie » dans ses papiers qui ont été publiés en Français sous le titre « L’Arche originaire, la terre ne se meut pas » (trad. fr. Didier Franck, éd. de Minuit, Paris, 1989). L’expression provocante de « la terre ne se meut pas » veut dire qu’il y a deux manières de vivre le monde : l’une, selon la science et la rationalité scientifique, qui explique que la terre est ronde et qu’elle tourne, l’autre, selon la vie : alors nous réduisons le savoir objectif à la subjectivité d’un vécu ; de ce que je vois, la terre est plate, le monde ne tourne pas.

Au-delà du caractère un peu provocant, il faut bien repérer dans quel contexte Husserl écrivait : le positivisme scientifique et son « progrès », souvent allié objectif, d’ailleurs, du matérialisme dialectique des marxistes, il s’agit pour le phénoménologue de délimiter un champ d’expérience qui échappe à la toute-puissance et à l’omniprésence de la science dans toutes les sphères de l’activité humaine ; ce champ d’expérience est bien proprement nommé « monde de la vie », parce qu’il désigne, en-deçà du savoir objectif et scientifique, une manière d’être, un vécu, qui échappe à la rationalisation à outrance du monde et de la vie ; celle-là même qui, par exemple, au lieu de comprendre un embryon comme le vécu charnel de la vie, le réduit à un « amas de cellule ».

La vie face à la barbarie

Cette tentative de laisser la vie en dehors du monde technique et scientifique de la ouvert des voies de développement considérables pour les philosophies inspirées par la phénoménologique. On peut penser, évidemment, à Jean-Paul II, lui phénoménologue « pratiquant », qui a forgé le concept d’ « écologie humaine » en méditant les textes de Husserl et de Max Scheler sur le monde de la vie[1]. Méditations qui ont pu aboutir à un développement théologique des thématiques du monde de la vie ; ainsi l’affirmation suivante, issue de la lettre aux familles, « Le rationalisme moderne ne supporte pas le mystère. »[2], peut-elle être comprise comme un prolongement théologique de la thématique du monde de la vie chez les phénoménologues.

De manière plus radicale encore, Michel Henry a développé ces dernières années une réflexion sur l’opposition radicale entre la Vie (en majuscule, chez lui) et ce qu’il appelle la « barbarie ». Ce phénoménologue catholique, décédé en 2002, a replacé la question de la Vie au cœur de la culture, de la civilisation et même de la théologie. Tout au long de son œuvre, Michel Henry a développé une véritable phénoménologie de la vie (Michel Henry a écrit quatre volumes sur ce thème[3]), qui s’oppose à celle du monde : « Selon la phénoménologie de la vie, il existe deux modes fondamentaux et irréductibles d’apparaître : celui du monde, celui de la vie. »[4]. Et celle du « monde», comme chez Husserl, relève du positivisme scientifique, de la « géométrisation » de l’univers et, in fine, de l’oubli de la dimension fondamentale de la vie…

Aujourd’hui, la Vie est étouffée par ce qu’il appelle la barbarie. Son ouvrage (à succès) de 1987 intitulé La barbarie, s’ouvre sur ce constat tragique : « Nous entrons dans la barbarie ». Ce n’est évidemment pas la première fois que l’humanité plonge dans les ténèbres, écrit-il, mais ce déclin-là « apparaît comme global »[5]. La barbarie, écrit Joseph de Maistre, cité par Michel Henry, est une ruine, non un rudiment[6]. Ce qui veut dire que la barbarie est toujours seconde par rapport à la culture : elle n’est que dégénérescence de ce qui est déjà là. S’ouvre alors une période de nihilisme, dont on ne sait si on en sortira un jour. Ce nihilisme, c’est celui qui tend à « oublier » la vie, qui la met hors-jeu, en dehors des préoccupations objectivistes, idéologiques ou économiques. De même que l’embryon n’est qu’un « amas de cellules » aux yeux de la logique scientifique, le travailleur n’est qu’une « force productive » pour la logique économique et le citoyen n’est qu’un « commis de l’État » pour la logique socialiste. On observe alors que cette réduction de la Vie à des logiques qui ne sont pas les siennes est une autodestruction. « Un mode de vie qui se tourne ainsi contre la vie, c’est-à-dire contre soi-même, c’est une contradiction. »[7], écrit Michel Henry.

Le déchainement nihiliste contre la vie, aujourd’hui.

Cette logique réductionniste est plus que jamais présente dans les formes contemporaines de la culture. Si «  la vie est la source exclusive de la culture sous toutes ses formes »[8], alors la destruction de la vie est corrélative à celle de la culture. «  Depuis le diagnostic de La barbarie, écrit Michel Henry dans la préface du livre éponyme en octobre 2000, les phénomènes de l’autodestruction ont connu une intensification démentielle. Elle n’est pas seulement visible dans les rues. L’acharnement nihiliste contre toute valeur, l’apologie de tout ce qui est contre nature, c’est-à-dire contre la vie, l’exprime plus encore. »[9]. Qu’un universitaire de renommée nationale puisse évoquer l’expression « contra-nature » sans faire l’objet d’une fatwa, sinon médiatique (les médias ne s’intéressent pas à la vraie philosophie), même par ses collègues, est déjà un exploit.

Mais qu’en est-il, depuis lors ? C’est le règne de l’apparence, de l’obnubilation du visible qui détruit la Vie invisible. On peut constater la quintessence de cette destruction dans les médias : « Après l’objectivisme unilatéral de la science, s’impose celui des médias qui arrache l’homme à lui-même, produisant à chaque instant le contenu venu occuper son esprit, autorisant une manipulation idéologique sans précédent, sans limite, interdisant toute pensée libre – toute « démocratie » -, condamnant toute relation personnelle réduite à des manifestations extérieures, l’amour par exemple à l’agitation objective des corps, à des photos. »[10]. Le média mainstream, celui qui produit un flux permanent d’images, de discours, est par essence un vecteur de mort : il étouffe la Vie sous les apparences, sous l’artificiel, sous le contingent.

Comment sortir de ce nihilisme, de cette destruction, de cette culture de mort ? En engageant une grande ré-évaluation des valeurs. Faire de la vie une « valeur » est d’emblée douteux. La phénoménologie nous apprend que la vie n’est pas une valeur. La valeur, c’est « ce qui est l’objet d’une évaluation ». Puisqu’elle est soumise à évaluation, elle peut se dévaluer, selon les humeurs du moment. Alors que, comme le répète à satiété Michel Henry, « tout a valeur parce que tout est fait par la vie et pour elle »[11]. Il faut respecter l’essence de la vie : la replacer la vie, non plus comme une valeur à défendre, non plus comme un point de programme électoral parmi d’autres, mais comme la source fondamentale de toute culture, de toute civilisation, de toute philosophie.

Vivien Hoch, 2015


Pour aller plus loin

 – Michel Henry, La Barbarie, PUF, Quadrige, 2e édition, Paris, 2004

– Michel Henry, Incarnation, Seuil, Paris, 2000

– Edmund Husserl, La Terre ne se meut pas, Minuit, collection « Philosophie », Paris, 1989

– Georges Canguilhem, La Connaissance de la vie, Paris, Vrin, 1975,

– Renaud Barbaras, Introduction à une phénoménologie de la vie, VRIN, Paris, 2008

– Alphonse de Waelhens, « Phénoménologie et réalisme », dans la Revue néo-scolastique de philosophie. 39° année, deuxième série, N°52, 1936. pp. 497-517.

– Jean Reaidy : Michel Henry, la passion de naître : méditations phénoménologiques sur la naissance, Paris, L’Harmattan, 2009

– Frédéric Seyler, Barbarie ou Culture : L’éthique de l’affectivité dans la phénoménologie de Michel Henry, Paris, éditions Kimé, Collection « Philosophie en cours », 2010


[1] Sur la formation phénoménologique de Karol Wojtyla et sa critique de la rationalité moderne, se reporter à Philippe Portier, La pensée de Jean-Paul II.: La critique du monde moderne, Atelier, 2006

[2] SS. Jean Paul II, Lettre aux famille, 1994, 19

[3] Vous pouvez les trouver aux éditions PUF, collection « Epiméthée », publiés entre 2003 et 2004

[4] Michel Henry, Incarnation, op. cit. p. 137

[5] Michel Henry, La Barbarie, PUF, Quadrige, 2e édition, Paris, 2004, p. 7

[6] Cité par Michel Henry, La Barbarie, PUF, Quadrige, 2e édition, Paris, 2004, p. 13

[7] Michel Henry, La Barbarie, PUF, Quadrige, 2e édition, Paris, 2004, p. 115

[8] Michel Henry, La Barbarie, PUF, Quadrige, 2e édition, Paris, 2004, p. 2

[9] Michel Henry, La Barbarie, PUF, Quadrige, 2e édition, Paris, 2004, p. 6

[10] Michel Henry, La Barbarie, PUF, Quadrige, 2e édition, Paris, 2004, p. 6

[11] Michel Henry, La Barbarie, PUF, Quadrige, 2e édition, Paris, 2004, p. 3

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Vivien Hoch dans « Cathos nouvelle génération », sur LCP

03 mercredi Déc 2014

Posted by Vivien Hoch in Médias, Politique, Religion

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Vivien Hoch dans « cathos, nouvelle génération »

Vivien Hoch dans « Cathos nouvelle génération », sur LCP


Réalisé par Aleksandar DZERDZ (52’)

Depuis les « Manif pour tous » contre l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, un vent de renouveau militant souffle chez les cathos. La France, pays de la laïcité, les a souvent malmenés. Et voilà qu’avec la loi Taubira sur le mariage pour tous, ils se sont réveillés. Révélés même. Décomplexés, bien loin de la pudeur de leurs parents, ils ont décidé d’affirmer leur foi et de le faire savoir. Dans leur vision de la société, Dieu s’inscrit en lettres capitales. Ce sont des catholiques « nouvelle génération ». Puisque les autres religions n’ont de cesse de s’exhiber… Pourquoi pas eux ? Mais alor s , qui sont-ils ? Quelle est cette nouvelle lignée d’adorateur s de Dieu ? Comment vivent-ils leur confession ? Incarnent-ils le renouveau de l’Eglise française ou au contraire, une radicalisation de la pratique catholique ?

Vivien Hoch dans « Cathos nouvelle génération », sur LCP

Félin

31 vendredi Oct 2014

Posted by Vivien Hoch in Religion

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Citation, délin, Félin, Hoch, Léonard de Vinci, vivien, Vivien Hoch

« Le plus petit des félins est une oeuvre d’art. » (Leonard de Vinci)

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Philosophies

26 dimanche Oct 2014

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Hoch, Modérément moderne, philosophie, Rémi Brague, vivien, Vivien Hoch

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Vivien Hoch (droite), Rémi Brague (gauche)

Le visible et l’invisible comme philosophie première, par Vivien Hoch

18 jeudi Sep 2014

Posted by Vivien Hoch in Philosophie

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Hoch, Merleau-Ponty, phénoménologie, vivien, Vivien Hoch

L'il y a chez Merleau-Ponty,  Par Vivien Hoch

L’il y a chez Merleau-Ponty,
Par Vivien Hoch

La Question phénoménologique est celle des rapports de la conscience et du monde. Elle ne saurait cependant appeler trop hâtivement un quelconque principe de réponse, ni même constituer une tentative de produire un quelconque répondème qui puisse combler cette Question – elle est de facto une tâche qu’il faut toujours ré-entreprendre ; rien ne nous attends derrière les questions, elles « n’appellent pas l’exhibition de quelque chose dite qui y mettrait fin »[1]. La phénoménologie n’est que le développement de cette Question, son maintient jusqu’à sa déprise dans les obscurités dont elle s’enveloppe lorsqu’elle atteint enfin les premières esquisses du monde et de la conscience dans leur lieu commun originaire. C’est en ce lieu qu’échoue la Question phénoménologique et ses questionnements inhérents, c’est de ce lieu qu’elle se trouve être ce pour quoi elle est survenue – car il n’est pas question de répondre seulement aux questions (que suis-je ?, qui suis-je ? pourquoi suis-je ?), mais de répondre de la provenance de ces questions. D’où l’attention à la forme du questionnement, car « la manière de questionner prescrit un certain type de réponse, et la fixer dès maintenant serait décider de notre solution »[2]. Ainsi la philosophie ne procède pas d’une pensée qui se développe de manière simplement positive, savoir chercher des réponses, par exemple, ni de manière négative, comme le ferait une dialectique phénoménologique ou existentialiste. La Question développe avec elle son type de questionnement, elle se cherche elle-même dans l’origine des questions qu’elle produit. Aussi,

« « Que sais-je ? », c’est non seulement « qu’est-ce que savoir ? », et non seulement « qui suis-je ? » mais finalement « qu’y a-t-il ? », et même : « qu’est-ce que le il y a » »[3].

Toutes les questions dites « régionales » sont renvoyées au Même d’un originaire arrière-fond ou arrière-plan, à l’Être-souche, l’Être Stamm und Klotz, en pré-repos. L’exploration de ce lieu originaire, où non pas les choses sont posés affirmativement, mais là où les choses sont, là où il y a les choses, requiert de s’interroger sur ce que c’est pour les choses et pour nous d’être « dans » ce il y a. S’y tenir, c’est ce que nous faisons naturellement, tous les jours, dès le réveil, c’est au cœur de l’il y a que nous sommes. C’est une certaine foi perceptive qui nous assure une subsistance au sein de l’il y a, parce qu’elle nous permet de vivre dans une certaine naïveté, dans une certaine familiarité avec les choses, dans une attitude naturelle tranquille parce qu’ignorante des soucis du phénoménologue, qui voit et qui manipule sans s’interroger sur le voir ou sur l’être de l’outil manipulé. Mais dans un autre sens, la foi perceptive est Urglaube, contact sauvage avec le monde, rapport permanent avec l’étrangeté et avec l’opacité des choses qui ne correspondent jamais exactement à ce que l’on dit d’elles ou à ce qu’on veut leur faire dire dans l’expérimentation scientifique, et qui se refusent à se laisser cerner par l’eidos, à se laisser approcher dans ce qu’elles sont en elles-mêmes, qui sont dans une perpétuelle fuite vers l’invisible[4], vers l’opaque, et non pas vers le non-sens, mais vers une sorte d’archi-sens d’où émergent tous les sens.

Entre ces deux variations de la doxa originaire, il y a le problème du monde : d’un monde à la fois familier, ininterrogé ou difficilement interrogeable parce qu’il faut se déprendre de cette familiarité, et d’autre part d’un monde étrange et obscur, qui appelle à être exprimé, qui cherche son expression en nous. C’est pourquoi « le monde est ce que nous voyons », mais qu’« il faut pourtant apprendre à le voir »[5].

Pour éduquer notre regard, Merleau-Ponty cherche à activer un authentique rapport avec le monde – le véritable Ur-Typus des Relativen des husserliens. Cet  « authentique rapport » se présente comme rapport premier : « premier » parce que précédant toutes les sédimentations que nous lui fait subir la conscience constituante ; « premier » parce qu’irréfléchi, mais aussi parce que résistant à la dialectique, à la science, à l’eidétique, à la coïncidence : « premier » parce qu’originaire, c’est-à-dire précédant tout le reste. Aussi, une philosophie du rapport premier, c’est une philosophie première.

L’originalité irréductible de Merleau-Ponty consiste en ce qu’il a compris cette philosophie première du rapport premier comme une exploration. L’exploration de cet arrière fond mouvant et équivoque revient donc à la phénoménologie comme philosophie première telle que Merleau-Ponty la comprend : une phénoménologie exploratrice pour des phénoménologues explorateurs capables d’avancer à tâtons dans des milieux inconnus, et non pour des phénoménologues conquérants, qui cherchent à « élaborer ça et là ne serait-ce qu’un minuscule terrain ferme dans le marais de l’obscurité invincible, sur lequel on puisse tenir vraiment debout, dans l’évidence précisément de cette situation droite »[6]. Dégager un lieu inflexible ou gagner la flexibilité ontologique première, voilà l’alternative. La différence d’approche n’est pas seulement inflexion ou rupture, ni même antithétique, mais elle est métaphysique. En d’autres termes, la différence ne ressort pas d’une épistémè, mais d’un impensé radical. L’impensé est toujours premier dans toute recherche, et c’est ce premier qui est l’origine de la recherche Merleau-Pontienne. Il le dit lui-même : « une pensée n’est pas des idées, c’est circonscription d’un impensé »[7]. Or tous les impensés ont à voir avec une certaine conception de l’il y a ; toute Weltanschauungsphilosophie se définit par sa position vis-à-vis de ce qui est. L’impensé, disait Heidegger – c’est son concept -, a à voir avec la manière dont l’Es gibt se donne et se voile dans une philosophie. Si Merleau-Ponty conteste toute possibilité de fondation ultime de la philosophie sur un point fixe et univoque, sur une origine, c’est parce que sa conception de l’il y a premier est justement mouvante et équivoque : « L’originaire éclate, et la philosophie doit accompagner cet éclatement, cette non-coïncidence, cette différenciation. »[8]. Éclatement et non-coïncidence qui empêche bien évidemment le penseur de chercher une ἀρχή originelle. Merleau-Ponty cherche non l’origine, mais l’originaire. Par là il recouvre la possibilité d’une origine fixe. Sa philosophie est exploration parce qu’elle ne se sent plus à l’aise dans les cadres philosophiques classiques : elle cherche d’autres chemins, d’autres horizons, elle s’exile du philosopher classique. Pour ce faire, elle remet en doute l’impensé même du philosopher classique, savoir sa recherche d’évidence et de stabilité, et s’engage – tout comme Bergson – dans la recherche de l’inévidence et du mouvant.

C’est alors indubitable : la philosophie première de Merleau-Ponty, c’est celle du premier explorateur (bien qu’il n’y ai que des premiers dans ce domaine), c’est-à-dire de celui qui s’exile vers une nouveauté radicale, peut-être vers les origines de sa civilisation, mais surtout vers un inconnu et un invisible. C’est alors une exploration sans cartographie préétablie, exactement dans la situation des découvreurs de nouveaux continents. La cartographie, il faut le comprendre, ressemble beaucoup trop au « squelette » eidético-ontologique des husserliens durs[9], qui prétendent ou plutôt postulent que le λόγος est une structure formelle vide, ou que Dieu est mathématicien, comme Galilée, car cela est la même chose. Le premier explorateur, c’est celui qui abandonne sa place de point zéro de l’univers, qui se refuse à être kosmotheoros et à surplomber l’être. C’est celui qui se (ré-)engage dans le temps et dans l’espace, dans une exploration à tâtons, une progression dans l’invisible, guidé par sa seule vision. Le mouvement de pensée de ce qu’il nous reste du Visible et l’invisible montre bien cette exploration d’un domaine sauvage encore inexploré : il cherche à déboussoler et à se déboussoler, en écartant les différentes erreurs (les philosophies de la réflexion, la Gestaltpsychologie, les dialectiques hégéliennes et sartriennes, la phénoménologie eidétique de Husserl, l’intuitionnisme bergsonien) comme autant de branches  qui obstruent son chemin, un chemin dont personne ne sait où il mène.  Il est bien vrai que « Husserl est un peu comme Moïse qui a vu la terre promise sans en fouler le sol et sans doute sera-ce le cas de tout membre du “peuple phénoménologique” »[10] ; si par un mystérieux μοιρολατρία, les phénoménologues doivent abandonner leurs rêves et rester au seuil de ce royaume des « Mères de la Connaissance » que nul n’a encore foulé[11], c’est qu’ils n’ont pas eut le courage d’abandonner totalement leurs prétentions d’être des kosmotheoros. Le premier qui a eut ce courage, c’est Merleau-Ponty, non pas dans l’optique « d’un vœu de pauvreté en matière de connaissance » (les conférences de Paris des Méditations cartésiennes de Husserl), mais dans la manière même d’engager en explorateur dans l’origine connaître et de se refuser à être un « connaissant » pur et simple ; en d’autres termes : d’accepter le fait de se lier et d’être soi-même partie prenante du connu et de l’inconnu, d’accepter de se perdre dans le monde comme les explorateurs de forêts vierges qui en viennent à se demander, après des journées d’errance : « où suis-je ? », « quelle heure est-il ? ».

Le phénoménologue merleau-pontien (même si l’expression manque de préséance) est donc un explorateur sans cartes et qui se place à égal niveau de ce qu’il découvre, sans la posture supérieure que prennent les découvreurs de nouvelles peuplades. Par là, la philosophie de Merleau-Ponty est une manière d’atteindre l’en-commun originaire de toutes les cultures et de toutes les civilisations, ce « lieu » en-deçà de toutes cultures, et donc « avant » les sédimentations de la culture. En premier, ce que restituent la diversité des mythes, se figure être une inconnaissance partagée et mutuelle. Si « notre première vérité – celle qui ne préjuge rien et qui ne peut être contestée -, sera qu’il y a présence, que quelque chose est là. »[12], il est évident qu’elle est partagée partout et par tous : pour tous : il y a, monde, être, corps, quelles que soient les conceptions que l’on s’en fait.

Nous avons évoqué l’idée de « lieu originaire » et de « royaume commun » ; aussi, sans faire de cartographie, peut-on au moins faire une géographie de l’être ? Le problème du monde, consiste justement en ce que sa géographie n’est pas autonome – γεωγραφία est « écriture (γραφειν) du monde (η γη) » ; or l’écriture et le fait même d’écrire, sont historiques. La Terre s’écrit dans l’histoire, par l’histoire. La géographie ne va pas dans l’histoire, et réciproquement : les explorateurs changent l’histoire, et l’histoire produit ses explorateurs. Leur lien intime est dans l’auto-fondation de l’Ur-historie et de l’Ur-Arche. Dans une note de travail du 1er Juin 1960, qui montre l’évidente lecture du texte sur l’Arche-originaire de la Terre qui ne se meut pas de Husserl[13], Merleau-Ponty écrit qu’

«il ne faut pas opposer à la philosophie de l’histoire [de Sartre], une philosophie de la géographie (…) mais une philosophie de la structure qui, à la vérité, se formera mieux au contact de la géographie qu’au contact de l’histoire. (…) la géographie, – ou plutôt ; la Terre comme Ur-Arche met en évidence l’Urhistorie charnelle. En fait, il s’agit de saisir le nexus, – ni « historique « géographique », – de l’histoire et de la géologie transcendantale, ce même temps qui est espace, ce même espace qui est temps (…) ce qui fait qu’il y a une inscription quasi géographique de l’histoire. »[14].

« Histoire », « géographie », se trouvent être mis en dépendance d’une « géologie transcendantale ». L’expression dévoile tout du projet de Merleau-Ponty : le « Problème fondamental : la sédimentation et la réactivation » (idem). La « sédimentation » ou la « cristallisation » de l’originaire dans un sens, c’est la source de toute science, de toute civilisation, de toute culture et de toute philosophie. La philosophie première est une archi-géologie phénoménologique : un discours phénoménologique sur l’archi-terre.

Enfin, parce que l’outil premier du géologue, c’est la perception – le géologue ne reste pas dans son bureau, il regarde les sédimentations de la terre, il touche les cailloux pour saisir leur rugosité, etc. -cette philosophie première est une exploration perceptive. C’est sur la perception que se fonde l’exploration, c’est elle seule qui nous guide : non pas des cartes, boussoles ou autres gps. De l’exploration de « la perception du monde comme ce qui fonde pour toujours notre idée de la vérité »[15] de la Phénoménologie de la perception à la fameuse première phrase du Visible et Invisible : « le monde est cela que nous percevons », il y a évidemment une constante, un fil directeur qui est celui de la perception ; mais ce n’est pas en vertu d’une nécessité d’essence, comme dans la Krisis, que Merleau-Ponty suit le fil de la perception, mais en vertu d’une volonté nette de proposer une esthésiologie de l’être. Aussi, « il faut traduire en logique perceptive ce que la science et la psychologie positive traitent comme fragments absque praemissis de l’En Soi. »[16]. L’En soi est rappelé non plus au pour soi, mais en-deçà de cette distinction, dans leur vinculum, dans ce qu’ouvre la perception du monde. Aussi le monde s’ouvre à partir de la primauté de la vision ou du contact :

«  Avec la première vision, le premier contact, le premier plaisir, il y a initiation, c’est-à-dire non pas position d’un contenu, mais ouverture d’une dimension qui ne pourra plus être refermée »[17]

La perception ouvre le monde et c’est dans ce qui est ainsi ouvert que s’engouffre alors l’explorateur du monde invisible qui sous-tend le visible, sans qu’il soit question d’en sortir (!)[18]. Aussi le « monde invisible » que l’explorateur merleau-pontien cherche « n’est pas au-dessus du monde sensible, il est au-dessous, ou dans sa profondeur, son épaisseur »[19], dans son « entrelacs », dans son « chiasme », dans sa « chair » même. Le corps voit, touche, sent, goute, le monde et se laisse voir, toucher, sentir, gouter par le monde (voir les nombreuses analyses des phénoménologues sur le corps touchant-touché, depuis les Ideen II jusqu’à J-L Marion). Plus qu’exploration de l’être du milieu de l’être, la perception est l’être, elle partage son anonymat, son silence ; elle ne sort pour ainsi dire jamais de l’il y a, même par le processus des idéalisations : « il n’y a pas de monde intelligible, il y a monde sensible »[20]. L’intelligible et l’invisible sont donc rappelés au monde sensible que nous percevons déjà-toujours ; l’ « enfer » est évité[21], mais le « pays » qu’explore Merleau-Ponty, celui du « λόγος du monde perçu »[22], est sauvage, brut (dans le sens de brutal) parce qu’il ne laisse guère de points d’appuis où se reposer – ne sommes nous pas dans l’être en pré-repos. Aussi, s’il faut abandonner le repos du Ciel des Idées pour pénétrer dans le monde sauvage de la chair ontologique perçue/percevante, l’affaire est extrêmement couteuse. Il faut toute l’audace de l’explorateur, sans toutefois la prétention du conquérant, pour bâtir un tel projet. Il faut toute l’audace de celui qui est premier dans l’ordre de la pensée.

Vivien Hoch


[1] Maurice Merleau-Ponty, Le visible et Invisible, Gallimard, tel, 2007, p. 208

[2] Maurice Merleau-Ponty, Le visible et Invisible, p. 208

[3] Maurice Merleau-Ponty, Le visible et Invisible, p. 169

[4] « Perpétuelle fuite vers l’invisible » alors qu’il est possible de discuter du fait que c’est peut-être le visible en tant que tel

[5] Maurice Merleau-Ponty, Le visible et Invisible, p. 18

[6] Edmund Husserl, Lettre à Dorion Cairns du 21 mars 1930, Fribourg

[7] Maurice Merleau-Ponty, Notes de cours sur l’origine de la géométrie, puf, Épiméthée, 1998, p.14

[8] Maurice Merleau-Ponty, Visible et Invisible, p. 163

[9] C’est évidemment (un certain) Husserl qui se propose de bâtir une telle cartographie des rapports de la conscience et du monde, notamment lorsqu’il tente de fonder une eidétique des actes psychiques purs.

[10] Marc Richir, Autant de chantiers ouverts pour l’analyse phénoménologiques (Entretiens), in Le magazine littéraire n°403, Paris, 2001, p. 61

[11] Edmund Husserl, Krisis, § 42 : « Combien nous avons besoin de ne plus nous mouvoir sur le vieux terrain familier du monde, et de nous tenir au contraire grâce à notre réduction transcendantale ne serait-ce qu’à la porte d’entrée de ce royaume des « Mères de la Connaissance » (« Miitter der Erkenntnis ») que nul n’a encore foulé ? »

[12] Maurice Merleau-Ponty, Le visible et Invisible, p. 210 – Ce texte est celui d’un fragment intitulé « l’être préobjectif : le monde solipsiste » qui n’eut surement pas été conservé dans la version définitive du Visible et l’invisible (Claude Lefort le place en annexe). Nous noterons que Merleau-Ponty poursuit cette tentative de commencement (un commencement écarté par le philosophe) en annonçant ses priorités : « Avant d’en venir au « quelqu’un », demandons-nous ce que c’est que le « quelque chose » » (ibid.). Par là est écarté toute tentative de commencer par l’altérité comme fondement discursif, ou de bâtir la recherche sur ce déjà-là lourd de sens qu’est autrui. À ce niveau de perplexité devant la présence des choses (l’il y a), autrui est une chose comme une autre.

[13] Voir Edmund Husserl, La Terre ne se meut pas, trad. fr. D. Franck, éd. Minuit, 1989, Paris

[14] Maurice Merleau-Ponty, Le visible et Invisible, p. 307, note de travail du 1er juin 1960

[15] Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, avant-propos, XI

[16] Maurice Merleau-Ponty, Le visible et Invisible, p. 304, note de travail de Mai 1960

[17] Maurice Merleau-Ponty, Le visible et Invisible, p. 196

[18] Maurice Merleau-Ponty, Le visible et Invisible, p. 197 : « Or, une fois entré dans cet étrange domaine, on ne voit pas comment il pourrait être question d’en sortir »…

[19] Maurice Merleau-Ponty, Le visible et Invisible, p. 273

[20] Maurice Merleau-Ponty, Le visible et Invisible, p. 267

[21] En référence aux séminaires du Thor de Heidegger : voir le protocole de la séance du 8 septembre 1968, dans Questions IV, Gallimard, p. 409-410 : « Qu’est-ce qui est essentiel à la perception ? Quelqu’un dit l’aisthesis, et s’attire cette réponse que « avec les grecs l’enfer a déjà commencé précisément avec la distinction d’aisthesis et de noesis » ».

[22] Maurice Merleau-Ponty, exposé de candidature au Collège de France, dans la Revue de métaphysique et de morale, n°4 (1962), p.408

« Chut, on tue »

15 lundi Sep 2014

Posted by Vivien Hoch in Éditos, Religion

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Bernard Antony, chrétiens, chrétienté-solidarité, Hoch, Irak, manifestation, noun, persécutions, solidarité, Syrie, vivien, Vivien Hoch

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« Chut, on tue » a bercé tout notre été de chrétien un tant soit peu touché par la solidarité et la charité due aux chrétiens persécutés. L’expression était couplée à la lettre arabe « ن », le « Noun », qui symbolisait cette lettre peinte par les islamistes sur les murs des maisons chrétiennes à Mossoul (N pour « Nazaréen »), pour les repérer et exiger d’eux qu’il se soumettent (dhimmitude), qu’il s’exilent, ou qu’ils tendent leur gorge aux bouchers Hallal de ces fous d’Allah. Ce qui rappelle évidemment les heures les plus sombres de notre histoire, mais les médias n’ont pas fait grand cas du massacre des chrétiens. Ce ne sont que des chrétiens, après tout, et il ne faut pas stigmatiser l’islam. « Chut on tue », donc.

On a toutefois assisté à un formidable élan de solidarité en France : de nombreux collectifs se sont mobilisés, collectant des fonds, organisant des manifestations, réinformant sur le génocide en cours. D’un seul coup, la cause des chrétiens d’Orient est devenue « fréquentable », charitable, et son odeur « extrémiste » s’est évaporée. On a vu des députés, des sénateurs, des élus locaux s’en rapprocher, certes pour tenter se l’approprier ; mais, au moins, le mot « persécution » a pu sortir de leur bouche. En cela, c’est une victoire.

Petite victoire toutefois. Car on a aussi eu le droit à une volée d’imbécillité crasse, notamment de la part des catholiques. J’en entends un qui affirme « avoir du mal à condamner les Français qui partent faire le jihad en Irak » puisque « les chrétiens envoyaient bien des combattants au Liban dans les années 80 » – il faisait évidemment référence aux actions de Chrétienté-Solidarité. Mais, dans ce cas, comparaison n’est absolument pas raison. Il n’y a même pas de comparaison possible. Un djihadiste part faire la guerre pour reprendre un territoire et en massacrer les infidèles (c’est-à-dire tous les non-musulmans). Le chrétien qui partait au Liban dans les années 80 ne venait pas conquérir et massacrer, mais bien plutôt défendre et aider les populations chrétiennes.  Est-il encore besoin de le rappeler ? Qu’est-ce qui se cache derrière ce discours ? La volonté de comparer les islamistes sanguinaires avec les chrétiens, et de mettre sur le même plan toutes les religions.

Il en est de même pour ces « laïcards» qui affirment qu’il ne faut pas aller secourir les chrétiens massacrés en Irak, puisque cela « contreviendrait au principe de laïcité (sic) » (entendu sur France Inter…). Ou de ceux qui refusent d’accueillir les chrétiens persécutés en France, pas plus que d’autres types d’immigrés. La question de l’accueil des chrétiens Irakiens en Europe, et plus particulièrement en France. Elle divise beaucoup, y compris au sein de la rédaction. Évidemment, comme l’annonçaient son Éminence le cardinal Barbarin lors de son voyage au Kurdistan, il faut que les chrétiens restent et continue à vivre chez eux, dans leur région. Discours repris par le Front National par exemple. Mais, ces chrétiens, sont-ils encore en capacité de simplement survivre chez eux ? Va-t-on leur imposer le « vivre-ensemble » avec les jihadistes ? Ce furent les réserves intelligentes de Bernard Antony et de Chrétienté-Solidarité.

Car c’est un génocide des chrétiens qui se déroule sous nos yeux, comme il y en a eu tant d’autres auparavant, souvent par les mêmes. Mais la situation a radicalement changé. Pourquoi ? Parce que les pays occidentaux – nous – sont devenus mous et lamentables, noyés dans la haine de soi et dans l’amour irrationnel de tout ce qui est étranger, aux prises avec une idéologie nihiliste d’État et la frivolité du divertissement de masse ; en bref : ils sont devenus incapables de se défendre idéologiquement face à la vision du monde perverse et violente que peut porter l’islam radical. Ainsi, les massacres des chrétiens d’Orient seront-ils les nôtres dans peu de temps, puisque nous n’avons plus les armes intellectuelles pour refuser, par exemple l’immigration de masse, ou le communautarisme. Le « chut » s’adresse tout autant à l’autre qu’à nous-mêmes, qui sommes muets face à nous-mêmes.

France, terre d’accueil, partie des « droits de l’homme », symbole des valeurs humanistes et, plus que tout, fille ainée de l’Église : vient au secours de tes frères, et, en secourant tes frères, vient au secours de toi-même.

Vivien Hoch

Retour sur la manifestation pour libérer Meriam

01 dimanche Juin 2014

Posted by Vivien Hoch in Médias, Politique, Religion

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#SaveMeriam, André Chénier, chrétienté, chrétienté-solidarité, Hoch, Meriam, Pasteur Saïd, Save Meriam, Soudan, vivien, Vivien Hoch

Vivien_hoch_discours_chretiente Vivien_hoch_chretiente

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Devant l’ambassade du Soudan

SaveMeriamfoule SaveMeriam2 SaveMeriam

Une apologie théologale des principes libéraux, par Vivien Hoch (novembre 2013)

12 mardi Nov 2013

Posted by Vivien Hoch in Philosophie, Religion

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christianisme, Hoch, Itinerarium, libéralisme, liberté, théologie, Une apologie théologale des principes libéraux, vivien, Vivien Hoch

Un article de Vivien Hoch sur Itinerarium 

Dieu veut-il des êtres libres ou des étants soumis ? La réponse à cette question suppose que la différence ontologique (étant/être) redoublée de la différence nature/surnature, trouve dans la différence proprement politique entre collectivisme/libéralisme des points d’appuis, ou au moins des résonnances.

Vivien Hoch

Théologiquement, de la Cause Pemière (Dieu) aux causes secondes (l’être humain en tant que créature douée du libre arbitre), il y a un espace, que la conception chrétienne de création laisse ouvert aux potentialités humaines ; c’est cet espace fondamental qui laisse la porte ouverte au paradigme libéral. Non que le monde humain se réduise à des causes : réduire la vie terrestre de l’homme a un faisceau de causalité serait vulgairement anti-libéral. Bien plus, l’homme a une capacité qui le place largement au-delà du monde créé : celle d’avoit le pouvoir d’être cause de lui-même.

C’est l’idée de causa sui, que Descartes applique à Dieu, mais que saint Thomas d’Aquin applique à l’homme : l’être humain, dit-il, est image de Dieu parce que c’est un être intelligent et volontaire, mais aussi et surtout parce qu’il est « per se potestavium » : il a un pouvoir de lui-même et par lui-même[1] ; un pouvoir si cher aux yeux de Dieu qu’il envoie sa grâce pour restaurer les pleins pouvoirs que l’homme a sur lui-même.

Or ce type d’auto-détermination constitue exactement le principe anthropologique du libéralisme, etsa seule idée directrice. Auto-détermination, qui extirpe par principe l’homme libre de toute chaine de causalité naturelle, surnaturelle, sociale ou économique ; mais également contre l’homme  En régime théologique, comme en régime politique, nous ne sommes pas de simples instruments que Dieu – ou le dieu moderne, l’État – agite comme une marionnette avec les fils de la concupiscence ou de la violence, guidé en cela par des idées universelles et, surtout, idéelles : déconnectées du vécu et de la quotidienneté.

À Pierre Lombard qui voulait réduire la grâce à une irruption de Dieu dans l’homme, mais sans l’homme, Thomas d’Aquin répond que la grâce ne dirige pas l’homme : elle le libère. Et le principe est théologique, voir plus, théologal :

« ce qui est par soi est toujours plus grand que ce qui est par un autre (per se magis est eo quod est per aliud) »[2].

Être par un autre, que se soit par Dieu, par l’État, par autrui, comme contribuable, copain ou ami, est toujours moindre que d’être par soi-même, à l’image de Dieu. Comme Dieu se veut lui-même, il veut des êtres autonomes plutôt que des automates ; c’est pourquoi il gratifie les êtres consistants, originaux et poreux, qui ne se lissent pas dans les conventions sociales et l’ennuyeux cirque des relations mondaines.

Pour dépasser l’idée qui voudrait que l’individualisme est un effet néfaste du libéralisme, il faut rappeler qu’il y a, au fond des doctrines dites « libérales », une conception la societas comme « coexistence aimante » ou comme « entre-soi », à l’envers du déontologisme kantien, et à rebours du « vivre-ensemble ». Puisqu’il n’y a pas l’homme en général, mais des hommes ; et que ces hommes-çi ne répondent pas à des idées pré-programmées d’universalisme, de solidarité désincarnée ou d’idéal régulateur ; la coexistence se fait de manière spontanée, naturelle et par une « discrimination positive » absolument nécessaire à l’entretien d’une certaine amitié.

Autrui, celui avec qui on vit, est d’abord un frère (fraterna) ou un prochain (alicujus), ce qui fonde, en charité, une proximité théologale ; celle-là même que l’on retrouve, à l’état parfait, dans les communautés monastiques ; celle-là même que l’on ne retrouve absolument pas dans les cités contemporaines, où des inconnus sont entassés de force dans des exiguïtés bétonnées, poussés à coexister selon des idées universelles bien éloignées avec un « vivre-ensemble » abscont mais grassement subventionné.

Il n’y a qu’en régime véritablement libéral – une liberté comme principe, non « orientée » par des ficelles collectivistes et enracinée théologalement, qu’on passe de l’individu à la personne, ou de l’homme-esclave à l’homme responsable : celui qui répond de lui-même des interractions qu’il a avec le monde et que le monde, en retour, lui permet enfin d’avoir.


[1] Somme de théologie, prologue de la IIa

[2] Somme de théologie, IIa IIae qu. 23, art. 6, resp.

Vivien Hoch au libre journal de Daniel Hamiche

21 lundi Oct 2013

Posted by Vivien Hoch in Religion

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Retrouvez mon dernier passage à Radio Courtoisie, au libre Daniel de Daniel Hamiche

Entretien de Vivien Hoch avec Nouvel Arbitre, sur la religion de Vincent Peillon

16 mercredi Oct 2013

Posted by Vivien Hoch in Politique

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L’article sur Nouvel Arbitre

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